29 nov. 2011

La vi(e)lle aseptisée : mise à jour spontanément lilloise

LU ce matin dans le quotidien gratuit "DirectLille", les paroles du responsable du service commerce de la ville à propos de la mise en application de la charte des terrasses, notamment pour les établissements situés entre la Grand'Place et la place Rihour (plus d'infos ici)

"En gros, on ne veut pas que les restaurateurs installent des parasols Heineken avec des tables en plastique. Avec la beauté architecturale du centre, ça ferait désordre."

La vi(e)lle aseptisée à son paroxysme.


(bon du coup la fastidieuse démonstration précédente passe un peu pour de la masturbation intellectuelle...)

9 nov. 2011

Storytelling S01E01

Les grands projets urbains et architecturaux s'affichent de plus en plus dans les médias et dans les "maisons du projet" qui fleurissent entre les mauvaises herbes qui envahissent les terrains en friche. On y raconte de belles histoires de rénovation urbaine et de développement durable. Abondamment illustrés grâce aux techniques modernes, ces projets prennent des allures fantomatiques parfois irréelles au travers des nombreuses images photoshopées très séduisantes. Malheureusement la réalité rejoint trop rarement ces visions attendues par le public. C'est progressivement un urbanisme dématérialisé qui prend place dans la tête des gens, ces visions virtuelles idéalisées nourrissent l'imaginaire des citadins qui attendent que leur ville évolue et répondent enfin à ce qu'ils attendent d'elle.


Le "grand Paris" est le dernier exemple en date, les dizaines de concertations publiques et les montagnes de projets imaginés par les plus grandes agences du monde, ne sont toujours pas sortis de terre, malgré une volonté politique forte. Pour aller plus loin sur ce sujet, l'article de métropolitiques sur l'urbanisme fictionnel, ici.

À New York cela fait plus de 10 ans que le cœur de Manhattan affiche toujours cette plaie béante qui peine à se cicatriser. Le chantier bat son plein pour achever les nouvelles tours du complexe imaginé par l'architecte Daniel Libeskind qui redessinera sans surprise la skyline de New York tout en réconfortant le cœur des américains. C'est au final une proposition classique de tours conventionnelles dans le pur style international qui se dresseront fièrement à partir de 2014. Surement trop occupés par les complications administratives, financières et humaines, les acteurs du projet ont dû oublier d'innover à un endroit qui méritait ce genre d'attention. 

The New World Trade Center from PIRANHA NYC on Vimeo.

Une histoire en 3 actes, les ouvriers sont présentés comme les acteurs de ce changement, ce sont eux les héros, exceptionnellement sur ce chantier emblématique tous les ouvriers sont américains, du jamais vu! Tellement pressé d'en finir, hop! un peu de construction virtuelle accélérée. Progressivement la vie réinvestit les lieux, les traders remplacent les ouvriers qui ne sont plus trop les bienvenus dans ces tours abritant ce qu'il reste de la puissance économique américaine. Le projet terminé est présenté, la musique devient plus dynamique, les gentils ont repris leur place que les méchants avaient injustement attaqué. La page est tournée. Du haut de la tour les nouveaux employés sont tournés vers le futur, le doigt pointé sur l'horizon, New York a retrouvé un visage présentable, Happy end !!!    


À Paris, alors que le projet des tours jumelles à la Defense s'enlise dans des problèmes juridiques, fonciers et sociaux bien de chez nous, la campagne marketing est lancée. Ces nouvelles tour dessinées par Norman Foster (encore lui... ) s'élanceront à 324m pour le plaisir du groupe russe Hermitage immobilier. Bien que tout le monde pourra en profiter, étant donné l'impact visuel sur la ligne d'horizon, le programme est réservé à une certaine élite: hotel 5 étoiles, centre de Thalassothérapie, appartement panoramique et bureaux (on est quand même dans un quartier d'affaires).


On découvre le projet à bord de l'avion Virgin galactique du milliardaire Richard Branson juste après avoir fait un tour dans l'espace, quitter la terre pour mieux y revenir... La volonté de créer un nouveau signal pour Paris est largement atteinte, en concurrence directe avec la tour Eiffel symbole du progrès de l'industrie, l'Hermitage représente la richesse et la domination d'une élite économique. Nous faisons la visite aux cotés d'une riche et belle jeune femme, la vie est belle les gens sont beaux riches et gentils...


Dans la continuité de ces projets titanesques qui peinent à répondre vraiment à ce qu'on attend d'eux, le Projet du futur stade de Bordeaux par Herzog et de Meuron via l'analyse de sa vidéo de présentation, article ici

Et pour rebondir sur la vision de certains architectes, urbanistes et décideurs, l'excellente présentation du collectif de jeunes urbanistes de Bordeaux, un regard nouveau et décalé sur un domaine plein de gens trop sérieux, l'excellente vidéo ici et leur site 

Toute cette agitation prospective pleine de bonnes intentions se heurte toujours à un tas de complications  qui au mieux ralentissent les projets quand elles ne les massacrent pas complétement. Certains en sont même à se demander si il faut pendre les architectes! Dans une société animée par les affects où l'information se doit de constituer un spectacle permanent (la théorie c'est dans le livre "la société du spectacle" de Guy Debord) la ville incarne un acteur récurent. Mais elle ne doit pas succomber à l'effet d'annonce et à l'événementiel qui s'inscrivent dans un temps trop court pour l'architecture. 

La vi(e)LLe aseptisée : totalitarisme urbain de demain ?

Pas besoin d'être un géographe aguerri ou un sociologue chevronné pour avoir remarqué le phénomène. Notre société évolue vers toujours plus d'individualisme, d'entre-soi et de ségrégations (même si certains, apparemment, se bougent pour que ça change). La conséquence spatiale la plus évidente de cette mutation est l'explosion des "Gated communities", phénomène apparu aux Etats-Unis mais qui aujourd'hui s'est largement répandu à travers le monde, où plutôt a littéralement envahit par privatisation et isolation des espaces auparavant publics et générateurs de liens sociaux (qui s'offusque d'une rue privée à Paris ? qui même a remarqué sa présence ?). Le principe est simple : chacun a sa belle et grande maison, son jardin bien entretenu, tous les voisins sont gentils, il fait beau, tous les services sont a disposition, des dizaines de caméras assurent votre sécurité; ainsi la vie est belle et chaque réveil est comme une nouvelle renaissance. Ca ne vous rappelle rien ? Moi si....


L'une de ces deux images est tirée d'un film... laquelle à votre avis ?

Avec ces communautés séparées du reste du territoire, ce sont de véritables univers urbains parallèles qui on été créés. Des univers artificiels qui sentent à vomir la peinture fraîche et la peur de l'autre. Des univers créés de toutes pièces à l'image de Seahaven, la ville sous globe du gigantesque real-tv show The Truman Show (génialissime et indispensable film de Peter Weir sorti en 1998). La ville du faux où les parents indignes sont bannis et expulsés par des agents de sécurité déguisés en civils/figurant dans cette hypocrite mascarade urbaine. 

Papa SDF mal rasé qui pue la vinasse ? .... D-E-H-O-R-S !

Bien sûr c'est une extrapolation à partir de ressorts dramatiques propres au scénario du film. Mais aujourd'hui il est vraisemblablement devenu difficile de vivre en commun et de partager un même espace entre animaux civilisés. C'est même devenu pour certains, pour beaucoup dirais-je (et j'en fais partie), tellement désagréable que le refuge dans une bulle personnelle rassurante est devenu une habitude. S'isoler acoustiquement de la ville est devenu un nouvel art de vivre la ville.


L'acte de mettre un casque sur ses oreilles et écouter du bon son en s'imaginant héros d'un film de guerre des gangs arpentant virilement et cow-boyement son territoire a évidemment quelque chose d'excitant, de stimulant et de plaisant. Mais on peut aussi l'interpréter comme un acte de "customisation" de la ville. Comme l'illustre cette vidéo, un morceau de musique nous coupe du brouahaha chaotique d'un centre-ville aux heures de pointes ou du calme effrayant d'une cité dortoir en rentrant du boulot. Mais c'est aussi un acte d'appropriation de l'espace urbain, celui qui met son casque ne fait rien d'autre que de personnaliser l'espace pour se sentir plus à l'aise et s'isoler du regard, du bruit ou des odeurs de ses si étranges et malveillants semblables. La vi(e)lle aseptisée, c'est ça. 

Les incivilités, les comportements hors-normes, on ne les supporte plus. Ainsi, ce sont de véritables campagnes de publicité/préventions qui sont financées par les collectivités pour (désesperemment ?) lutter contre les incivilités dans les transports en commun. 

Campagne de la RATP, avec une symbolique si évocatrice quand à l'état de notre société et de nos rapports sociaux ! à retrouver détaillée et commentée ici

Le monde stérilisé et trop propre de The Truman show ne semble plus si loin. Un nom a même été donné à cette façon de concevoir l'espace public discrimante à l'égard des marginaux (les sans abris notamment) et qui s'est dramatiquement généralisé: l'urbanisme de prévention situationnelle. Le principe est simple : empêcher par la conception tout comportement déviant et potentiellement nuisible. 


Le banc anti-sdf, un grand classique.. ici dans sa version hard et bankable.

Allez, maintenant, soyons cynique un petit peu. Repensez à tous ces projets d'écoquartiers, de ville verte, de nature en ville, de belles promenades autour de canaux remis en eau qu'on nous fait bouffer à longueur d'élections municipales... avez vous ne serait-ce que la capacité d'y imaginer des alcooliques, des prostituées, des dépravés, des sans-abris, des kékés-tunning, des pédophiles, de la viande saoûle, de la capote usagée (CF prositution bas de gamme), ou pire ? Si vous savez faire ça, alors rejoignez tout de suite cette équipe d'urbanistes funky ^^

Poussons le vice jusqu'au bout: dans une société aseptisée, qui aurait encore le droit de dire des banalités susceptibles de heurter les oreilles des citadins puritains ?  et si on inventait des murs anti-tags auto-nettoyants à la Silvester Stallone ? (un autre grand film à voir... cf rubrique "documentation")

Mais alors, les beaufs, les ratés, les moches, les puants, les chômeurs, les célibataires désespérés, ils ont pas le droit à la ville eux ? Et si demain, la ville se fragmentait entre Gated communities et Loosersland? C'est donc ça notre avenir urbain ? Et le droit d'être malheureux, pas beau et de mauvaise humeur, ce n'est pas la plus basique des libertés ? Allons nous laisser imposer ce totalitarisme de la vi(e)lle aseptisée ? Prenons exemple sur notre héros du jour, fuyons cet vi(e)lle artificielle, osons retrouver la liberté, le chaos et le désespoir !